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les meubles. Elle gâchait à plaisir ses plus riches toilettes, ses plus fines lingeries ; elle se laissait impudemment gruger par les fournisseurs d’objets de luxe, acceptait, sans sourciller, les livres du vieux maître d’hôtel, comme Monsieur, du reste, ceux de William. Et, cependant, Dieu sait s’il y en avait de la gabegie, là-dedans !… Je disais à William, quelquefois :

— Non, vrai ! tu chipes trop… Ça te jouera… un mauvais tour…

À quoi William, très calme, répliquait :

— Laisse donc… je sais ce que je fais… et jusqu’où je peux aller. Quand on a des maîtres aussi bêtes que ceux-là, ce serait un crime de ne pas en profiter.

Mais il ne profitait guère, le pauvre, de ces continuels larcins qui, continuellement, en dépit des tuyaux épatants qu’il avait, allaient aux courses grossir l’argent des bookmakers.


Monsieur et Madame étaient mariés depuis cinq ans… D’abord, ils allèrent beaucoup dans le monde et reçurent à dîner. Puis, peu à peu, ils restreignirent leurs sorties et leurs réceptions, pour vivre à peu près seuls, car ils se disaient jaloux l’un de l’autre. Madame reprochait à Monsieur de flirter avec les femmes ; Monsieur accusait Madame de trop regarder les hommes. Ils s’aimaient beaucoup, c’est-à-dire qu’ils se disputaient toute la journée, comme un ménage de