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étranglé dans ses redingotes bleues, le chef couvert de son phare irradiant, Edgar vaque, alors, toute la journée, à ses affaires et à ses plaisirs. Ses affaires sont nombreuses, car il commandite un caissier de cercle, un bookmaker, un photographe hippique, et il possède trois chevaux, à l’entraînement, près de Chantilly. Ses plaisirs, non plus, ne chôment pas, et les petites dames les plus célèbres connaissent le chemin de la rue Euler, où elles savent que, dans les moments de dèche, il y aura toujours, pour elles, un thé servi et cinq louis prêts.

Le soir, après s’être montré aux Ambassadeurs, au Cirque, à l’Olympia, très correct sous son frac à revers de soie, Edgar se rend chez l’Ancien, et il se soûle longuement, en compagnie de cochers qui se donnent des airs de gentlemen, et de gentlemen qui se donnent des airs de cochers…

Et chaque fois que William me racontait une de ces histoires, il concluait, émerveillé :

— Ah ! cet Edgar, on peut dire vraiment que c’est un homme, celui-là !…


Mes maîtres appartenaient à ce qu’on est convenu d’appeler le grand monde parisien ; c’est-à-dire que Monsieur était noble et sans le sou, et qu’on ne savait pas exactement d’où sortait Madame. Bien des histoires, toutes plus pénibles les unes que les autres, couraient sur ses origines. William, très au courant des potins de la