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Borgsheim, son maître actuel, est fier de lui, plus fier de lui que d’une opération financière qui aurait coûté la ruine de cent mille concierges. Il dit : « Mon piqueur ! », en se rengorgeant sur un ton de supériorité définitive, comme un collectionneur de tableaux, dirait : « Mes Rubens ! » Et, de fait, il a raison d’être fier, l’heureux baron, car, depuis qu’il possède Edgar, il a beaucoup gagné en illustration et en respectabilité… Edgar lui a valu l’entrée de salons intransigeants, longtemps convoités… Par Edgar, il a enfin vaincu toutes les résistances mondaines contre sa race… Au club, il est question de la fameuse « victoire du baron sur l’Angleterre ». Les Anglais nous ont pris l’Égypte… mais le baron a pris Edgar aux Anglais… et cela rétablit l’équilibre… Il eût conquis les Indes qu’il n’eût pas été davantage acclamé… Cette admiration ne va pas, cependant, sans une forte jalousie. On voudrait lui ravir Edgar, et ce sont, autour de ce dernier, des intrigues, des machinations corruptrices, des flirts, comme autour d’une belle femme. Quant aux journaux, en leur enthousiasme respectueux, ils en sont arrivés à ne plus savoir exactement lequel, d’Edgar ou du baron, est l’admirable piqueur ou l’admirable financier… Tous les deux, ils les confondent dans les mutuelles gloires d’une même apothéose.

Pour peu que vous ayez été curieux de traverser les foules aristocratiques, vous avez cer-