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— Prenez Baladeur à 7/1… C’est le gagnant, monsieur le marquis…

J’avais fini — c’est rigolo, vraiment, quand j’y pense — par me sentir flattée, moi aussi, d’une telle relation pour William… Pour moi aussi, Edgar, c’était alors quelque chose d’admirable et d’inaccessible, comme l’Empereur d’Allemagne… Victor Hugo… Paul Bourget… est-ce que je sais ?… C’est pourquoi je crois bien faire en fixant, d’après tout ce que me raconta William, cette physionomie plus qu’illustre : historique.


Edgar est né à Londres, dans l’effroi d’un bouge, entre deux hoquets de whisky. Tout gamin, il a vagabondé, mendié, volé, connu la prison. Plus tard, comme il avait les difformités physiques requises et les plus crapuleux instincts, on l’a racolé pour en faire un groom… D’antichambre en écurie, frotté à toutes les roublardises, à toutes les rapacités, à tous les vices des domesticités de grande maison, il est passé lad, au haras d’Eaton. Et il s’est pavané avec la toque écossaise, le gilet à rayures jaunes et noires, et la culotte claire, bouffante aux cuisses, collante aux mollets, et qui fait aux genoux des plis en forme de vis. À peine adulte, il ressemble à un vieux petit homme, grêle de membres, la face plissée, rouge aux pommettes, jaune aux tempes, la bouche usée et grimaçante, les cheveux rares, ramenés au-dessus de l’oreille, en