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naissait tous les jockeys, tous les entraîneurs, tous les bookmakers, et aussi quelques gentilshommes très galbeux, des barons, des vicomtes, qui lui montraient une certaine amitié, sachant qu’il possédait, de temps à autre, des tuyaux épatants… Cette passion qui, pour être entretenue et satisfaite, demande des sorties nombreuses et des déplacements suburbains, ne s’accorde pas avec un métier peu libre et sédentaire, comme est celui de valet de chambre. Or, William avait réglé sa vie ainsi : après le déjeuner, il s’habillait et sortait… Ce qu’il était chic avec son pantalon à carreaux noirs et blancs, ses bottines vernies, son pardessus mastic et ses chapeaux… Oh ! les chapeaux de William, des chapeaux couleur d’eau profonde, où les ciels, les arbres, les rues, les fleuves, les foules, les hippodromes se succédaient en prodigieux reflets !… Il ne rentrait qu’à l’heure d’habiller son maître, et, le soir, après le dîner, souvent, il repartait ayant, disait-il, d’importants rendez-vous, avec des Anglais. Je ne le revoyais que la nuit, très tard, un peu ivre de cocktail, toujours… Toutes les semaines, il invitait des amis à dîner, des cochers, des valets de chambre, des gens de courses, ceux-ci, comiques et macabres avec leurs jambes torses, leurs genoux difformes, leur aspect de crapuleux cynisme et de sexe ambigu. Ils parlaient chevaux, turf, femmes, racontaient sur leurs maîtres des histoires sinistres — à les entendre, ils étaient tous