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capitaine avait raison quand il me disait : « Tout se remplace. »… Mais la mercière n’a pas l’autorité de Rose, car c’est une femme sur qui, au point de vue des mœurs, il n’y a malheureusement rien à dire.

Avec quelle hâte j’attends Joseph !… Avec quelle impatience nerveuse j’attends le moment de savoir ce que je dois espérer ou craindre de la destinée !… Je ne puis plus vivre ainsi. Jamais je n’ai été autant écœurée de cette existence médiocre que je mène, de ces gens que je sers, de tout ce milieu de mornes fantoches où, de jour en jour, je m’abêtis davantage. Si je n’avais, pour me soutenir, l’étrange sentiment qui donne à ma vie actuelle un intérêt nouveau et puissant, je crois que je ne tarderais pas à sombrer, moi aussi, dans cet abîme de sottises et de vilenies que je vois s’élargir de plus en plus autour de moi… Ah ! que Joseph réussisse ou non, qu’il change ou ne change pas d’idée sur moi, ma résolution est prise ; je ne veux plus rester ici… Encore quelques heures, encore toute une nuit d’anxiété… et je serai enfin fixée sur mon avenir.

Cette nuit, je vais la passer à remuer encore d’anciens souvenirs, pour la dernière fois peut-être. C’est le seul moyen que j’aie de ne pas trop penser aux inquiétudes du présent, de ne pas trop me casser la tête aux chimères de demain. Au fond, ces souvenirs m’amusent, et ils renforcent mon mépris. Quelles singulières