Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/445

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lueur de meurtre, car, instinctivement, elle avait le regard fixé sur le ventre de la femme, qu’elle venait de condamner à la stérilité ou à l’infanticide.

Le marché fut vite conclu. Elle fit ses recommandations, détailla minutieusement les services qu’elle attendait de ses nouveaux jardiniers, et, comme elle les congédiait d’un hautain sourire, elle dit sur un ton qui n’admettait pas de réplique :

— Je pense que vous avez des sentiments religieux… Ici, tout le monde va, le dimanche, à la messe et fait ses Pâques… J’y tiens absolument….

Ils s’en revinrent, sans se parler, très graves, très sombres. La route était poudreuse, la chaleur lourde et la pauvre femme marchait péniblement, tirait la jambe. Comme elle étouffait un peu, elle s’arrêta, posa son sac à terre et délaça son corset.

— Ouf !… fit-elle en aspirant de larges bouffées d’air…

Et son ventre, longtemps comprimé, se tendit, s’enfla, accusa la rondeur caractéristique, la tare de la maternité, le crime… Ils continuèrent leur chemin.

À quelques pas de là, sur la route, ils entrèrent dans une auberge et se firent servir un litre de vin.

— Pourquoi que tu n’as pas dit que j’étais enceinte ? demanda la femme.