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Le garçon fut renvoyé… Je n’ai jamais su son nom !


Je ne voudrais pas quitter le bureau de placement de Mme Paulhat-Durand sans donner un souvenir à un pauvre diable que j’y rencontrai. C’était un jardinier veuf depuis quatre mois et qui venait chercher une place. Parmi tant de figures lamentables qui passèrent là, je n’en vis pas une aussi triste que la sienne et qui semblât plus accablée par la vie. Sa femme était morte d’une fausse couche — d’une fausse couche ? — la veille du jour où, après deux mois de misère, ils devaient, enfin, entrer dans une propriété, elle comme basse-courière, lui comme jardinier. Soit malchance, soit lassitude et dégoût de vivre, il n’avait rien trouvé, depuis ce grand malheur ; il n’avait même rien cherché… Et ce qui lui restait de petites économies avait vite fondu dans ce chômage. Quoiqu’il fût très défiant, j’étais parvenue à l’apprivoiser un peu… Je mets sous forme de récit impersonnel le drame si simple, si poignant qu’il me conta, un jour que, très émue par son infortune, je lui avais marqué plus d’intérêt et plus de pitié. Le voici.


Quand ils eurent visité les jardins, les terrasses, les serres et, à l’entrée du parc, la maison du jardinier, somptueusement vêtue de lierres, de bignones et de vignes vierges, ils revinrent l’âme