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immobile, les bras pendants. Une ombre dure brouillait, comme une opaque voilette, la laideur de son visage et tassait, ramassait davantage la courte, massive difformité de son corps… Une lumière dure allumait les basses mèches de ses cheveux, ourlait les contours gauchis du bras, de la poitrine, se perdait dans les plis noirs de sa jupe déplorable… Une vieille dame l’examinait. Assise sur une chaise, elle me tournait le dos, un dos hostile, une nuque féroce… De cette vieille dame, je ne voyais que son chapeau noir, ridiculement emplumé, sa rotonde noire, dont la doublure se retroussait dans le bas en fourrure grise, sa robe noire, qui faisait des ronds sur le tapis… Je voyais, surtout, posée sur un de ses genoux, sa main gantée de filoselle noire, une main noueuse d’arthritique, qui remuait avec de lents mouvements, et dont les doigts sortaient, rentraient, crispaient l’étoffe, pareils à des serres, sur une proie vivante… Debout, près de la table, très droite, très digne, Mme Paulhat-Durand attendait.

Ce n’est rien, n’est-ce pas ? la rencontre de ces trois êtres vulgaires, en ce vulgaire décor… Il n’y a, semble-t-il, dans ce fait banal, ni de quoi s’arrêter, ni de quoi s’émouvoir… Eh bien, cela me parut, à moi, un drame énorme, ces trois personnes qui étaient là, silencieuses et se regardant… J’eus la sensation que j’assistais à une tragédie sociale, terrible, angoissante, pire qu’un assassinat !…