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Je montai sur la banquette, et poussai le vasistas, pour voir la scène qui allait se passer là… Jamais le salon de Mme Paulhat-Durand ne me parut plus triste : pourtant Dieu sait s’il me glaçait l’âme, chaque fois que j’y entrais. Oh ! ces meubles de reps bleu, jaunis par l’usure ; ce grand registre étalé, comme une carcasse de bête fendue, sur la table qu’un tapis de reps, bleu aussi, recouvrait de taches d’encre et de tons pisseux… Et ce pupitre, où les coudes de M. Louis avaient laissé, sur le bois noirci, des places plus claires et luisantes… et le buffet dans le fond, qui montrait des verreries foraines, des vaisselles d’héritage… Et sur la cheminée, entre deux lampes débronzées, entre des photographies pâlies, cette agaçante pendule, qui rendait les heures plus longues, avec son tic-tac énervant… et cette cage, en forme de dôme, où deux serins nostalgiques gonflaient leurs plumes malades… Et ce cartonnier aux cases d’acajou, éraflées par des ongles cupides… Mais je n’étais pas là en observation pour inventorier cette pièce, que je connaissais, hélas ! trop bien… cet intérieur lugubre, si tragique, malgré son effacement bourgeois, que, bien des fois, mon imagination affolée le transformait en un funèbre étal de viande humaine… Non… je voulais voir Louise Randon aux prises avec les trafiquants d’esclaves…

Elle était là, près de la fenêtre, à contre-jour,