Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mes questions ne l’ennuyaient plus. Elle prenait confiance…

— Et vous… me dit-elle… est-ce que vos parents ne vous battaient pas ?…

— Oh ! si…

— Bien sûr… C’est comme ça…

Louise ne fouilla plus son nez… et posa ses deux mains, aux ongles rognés, à plat, sur ses cuisses… On chuchotait, autour de nous. Les rires, les querelles, les plaintes empêchaient les autres d’entendre notre conversation…

— Mais comment êtes-vous venue, à Paris ? demandai-je après un silence.

— L’année dernière… conta Louise… il y avait à Saint-Michel-en-Grève une dame de Paris qui prenait les bains de mer avec ses enfants… Je me suis proposée chez elle… parce qu’elle avait renvoyé sa domestique qui la volait. Et puis… elle m’a emmenée à Paris… pour soigner son père… un vieux, infirme, qui était paralysé des jambes…

— Et vous n’êtes pas restée dans votre place ?… À Paris, ce n’est plus la même chose…

— Non… fit-elle, avec énergie. Je serais bien restée, ça n’est pas ça… Seulement, on ne s’est pas arrangé…

Ses yeux, si ternes, s’éclairèrent étrangement. Je vis dans son regard briller une lueur d’orgueil. Et son corps se redressait, se transfigurait presque.