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Un jour, surmontant mon dégoût, je m’approchai d’elle, et lui demandai :

— Comment vous appelez-vous ?…

— Louise Randon…

— Je suis bretonne… d’Audierne… Et vous aussi, vous êtes bretonne ?

Étonnée que quelqu’un voulût bien lui parler, et craignant une insulte ou une farce, elle ne répondit pas tout de suite… Elle enfouit son pouce dans les profondes cavernes de son nez. Je réitérai ma question :

— De quelle partie de la Bretagne êtes-vous ?

Alors, elle me regarda et, voyant sans doute que mes yeux n’étaient pas méchants, elle se décida à répondre :

— Je suis de Saint-Michel-en-Grève…, près de Lannion.

Je ne sus plus que lui dire… Sa voix me repoussait. Ce n’était pas une voix, c’était quelque chose de rauque et de brisé, comme un hoquet… quelque chose aussi de roulant, comme un gargouillement… Ma pitié s’en allait avec cette voix… Pourtant, je poursuivis :

— Vous avez encore vos parents ?

— Oui… mon père… ma mère… deux frères… quatre sœurs… Je suis l’aînée…

— Et votre père ?… qu’est-ce qu’il fait ?…

— Il est maréchal ferrant.

— Vous êtes pauvre ?