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en déposant la lampe sur la table, je pris soin de frôler légèrement le bras de Monsieur, et je me retirai…


L’office n’est pas gai. En plus de moi, il n’y a que deux domestiques, une cuisinière qui grinche tout le temps, un jardinier-cocher qui ne dit jamais un mot. La cuisinière s’appelle Marianne, le jardinier-cocher, Joseph… Des paysans abrutis… Et ce qu’ils ont des têtes !… Elle, grasse, molle, flasque, étalée, le cou sortant en triple bourrelet d’un fichu sale avec quoi l’on dirait qu’elle essuie ses chaudrons, les deux seins énormes et difformes roulant sous une sorte de camisole en cotonnade bleue plaquée de graisse, sa robe trop courte découvrant d’épaisses chevilles et de larges pieds chaussés de laine grise ; lui, en manches de chemise, tablier de travail et sabots, rasé, sec, nerveux, avec un mauvais rictus sur les lèvres qui lui fendent le visage d’une oreille à l’autre, et une allure tortueuse, des mouvements sournois de sacristain… Tels sont mes deux compagnons…

Pas de salle à manger pour les domestiques. Nous prenons nos repas dans la cuisine, sur la même table où, durant la journée, la cuisinière fait ses saletés, découpe ses viandes, vide ses poissons, taille ses légumes, avec ses doigts gras et ronds comme des boudins… Vrai !… Ça n’est guère convenable… Le fourneau allumé rend l’atmosphère de la pièce étouffante. Il y circule des