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sieurs de mes petites camarades écoutèrent ces brocanteuses d’amour… Je les vis partir avec tristesse… Où sont-elles maintenant ?…

Un soir, une de ces rôdeuses, grasse et molle, que j’avais déjà brutalement éconduite, parvint à m’entraîner dans un café du Rond-Point où elle m’offrit un verre de chartreuse. Je vois encore ses bandeaux grisonnants, sa sévère toilette de bourgeoise veuve, ses mains grassouillettes, visqueuses, chargées de bagues… Avec plus d’entrain, plus de conviction que les autres jours, elle me récita son boniment… Et comme je demeurais indifférente à toutes ses blagues :

— Ah ! si vous vouliez, ma petite ! s’écria-t-elle… Je n’ai pas besoin de vous regarder à deux fois pour voir combien vous êtes belle, de partout !… Et c’est un vrai crime de laisser en friche et de gaspiller avec des gens de maison une telle beauté !… Belle… et je suis sûre… polissonne comme vous êtes, votre fortune serait vite faite, allez ! Ah ! vous en auriez un sac, au bout de peu de temps !… C’est que, voyez-vous, j’ai une clientèle admirable… de vieux messieurs… très influents et très… très généreux… Le travail est quelquefois un peu dur… ça, je ne dis pas… Mais on gagne tant, tant d’argent !… Tout ce qu’il y a de mieux à Paris défile chez moi… des généraux illustres, des magistrats puissants… des ambassadeurs étrangers.

Elle se rapprocha de moi, baissant la voix…