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ces maisons. J’évoquai sa vie heureuse peut-être, tranquille au moins, en tout cas sauvée de la misère et de la faim. Et, dégoûtée plus que jamais de ma jeunesse morne et battue, de mon existence errante, de ma terreur des lendemains, moi aussi, je songeai :

— Oui, peut-être que cela vaudrait mieux !…

Et le soir arrivait… puis la nuit… une nuit, à peine plus noire que le jour… Nous nous taisions, fatiguées d’avoir trop parlé, trop attendu… Un bec de gaz s’allumait dans le couloir… et, régulièrement, à cinq heures, par la vitre de la porte, on apercevait la silhouette un peu voûtée de M. Louis qui passait, très vite, en s’effaçant… C’était le signal du départ.


Souvent de vieilles racoleuses de maisons de passe, des maquerelles à l’air respectable et toutes pareilles, en douceur mielleuse, à des bonnes sœurs, nous attendaient à la sortie, sur le trottoir… Elles nous suivaient discrètement, et dans un coin plus sombre de la rue, derrière les obscurs massifs des Champs-Élysées, loin de la surveillance des sergents de ville, elles nous abordaient :

— Venez donc chez moi, au lieu de traîner votre pauvre vie d’embêtement en embêtement et de misère en misère. Chez moi, c’est le plaisir, le luxe, l’argent… c’est la liberté…

Éblouies par les promesses merveilleuses, plu-