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La porte s’ouvre sur un couloir qui conduit au salon où Mme Paulhat-Durand trône dans sa perpétuelle robe de soie noire. À gauche du couloir, c’est une sorte de trou sombre, une vaste antichambre avec des banquettes circulaires et, au milieu, une table recouverte d’une serge rouge décolorée. Rien d’autre. L’antichambre ne s’éclaire que par un vitrage étroit, pratiqué en haut et dans toute la longueur de la cloison, qui la sépare du bureau. Un jour faux, un jour plus triste que de l’ombre tombe de ce vitrage, enduit les objets et les figures d’une lueur crépusculaire, à peine.

Nous venions là, chaque matinée et chaque après-midi, en tas, cuisinières et femmes de chambre, jardiniers et valets, cochers et maîtres d’hôtel, et nous passions notre temps à nous raconter nos malheurs, à débiner les maîtres, à souhaiter des places extraordinaires, féeriques, libératrices. Quelques-unes apportaient des livres, des journaux, qu’elles lisaient passionnément ; d’autres écrivaient des lettres… Tantôt gaies tantôt tristes, nos conversations bourdonnantes étaient souvent interrompues par l’irruption soudaine, en coup de vent, de Mme Paulhat-Durand :

— Taisez-vous donc, Mesdemoiselles… criait-elle… On ne s’entend plus au salon…

Ou bien :

— Mademoiselle Jeanne !… appelait-elle d’une voix brève et glapissante.