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ger n’ait pas réussi, autrefois !… Au moins, celui-là, paraît qu’il aimait les domestiques…


Le bureau, où j’avais eu la bêtise de m’inscrire, est situé, rue du Colisée, dans le fond d’une cour, au troisième étage d’une maison noire et très vieille, presque une maison d’ouvriers. Dès l’entrée, l’escalier étroit et raide, avec ses marches malpropres qui collent aux semelles et sa rampe humide qui poisse aux mains, vous souffle un air empesté au visage, une odeur de plombs et de cabinets, et vous met, dans le cœur, un découragement… Je ne veux pas faire la sucrée, mais rien que de voir cet escalier, cela m’affadit l’estomac, me coupe les jambes, et je suis prise d’un désir fou de me sauver… L’espoir qui, le long du chemin, vous chante dans la tête, se tait aussitôt, étouffé par cette atmosphère épaisse, gluante, par ces marches ignobles et ces murs suintants qu’on dirait hantés de larves visqueuses et de froids crapauds. Vrai ! je ne comprends pas que de belles dames osent s’aventurer dans ce taudis malsain… Franchement, elles ne sont pas dégoûtées… Mais qu’est-ce qui les dégoûte, aujourd’hui, les belles dames ?… Elles n’iraient pas dans une pareille maison, pour secourir un pauvre… mais pour embêter une domestique, elles iraient le diable sait où !…

Ce bureau était exploité par Mme Paulhat-Durand, une grande femme de quarante-cinq ans,