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n’avoir plus jamais recours à eux… Mais, le moyen, quand on est sur le pavé, sans seulement de quoi s’acheter un morceau de pain ?… Les amies, les anciens camarades ? Ah ouitch !… Ils ne vous répondent même pas… Les annonces dans les journaux ?… Ce sont des frais très lourds, des correspondances qui n’en finissent pas… des dérangements pour le roi de Prusse… Et puis, c’est aussi bien chanceux… En tout cas, il faut avoir des avances, et les vingt francs de Cléclé avaient vite fondu dans mes mains… La prostitution ?… La promenade sur les trottoirs ?… Ramener des hommes, souvent plus gueux que soi ?… Ah ! ma foi, non… Pour le plaisir, tant qu’on voudra… Pour l’argent ? Je ne peux pas… je ne sais pas… je suis toujours roulée… Je fus même obligée de mettre au clou quelques petits bijoux qui me restaient, afin de payer mon logement et ma nourriture… Fatalement, la mistoufle vous ramène aux agences d’usure et d’exploitation humaine.

Ah ! les bureaux de placement, en voilà un sale truc… D’abord, il faut donner dix sous pour se faire inscrire ; ensuite au petit bonheur des mauvaises places… Dans ces affreuses baraques, ce ne sont pas les mauvaises places qui manquent, et, vrai ! l’on n’y a que l’embarras du choix entre des vaches borgnes et des vaches aveugles… Aujourd’hui, des femmes de rien, des petites épicières de quat’sous… se mêlent d’avoir des