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sans fard et sans voiles, oubliant qu’il y a autour d’eux quelqu’un qui rôde et qui écoute et qui note leurs tares, leurs bosses morales, les plaies secrètes de leur existence, tout ce que peut contenir d’infamies et de rêves ignobles le cerveau respectable des honnêtes gens. Ramasser ces aveux, les classer, les étiqueter dans notre mémoire, en attendant de s’en faire une arme terrible, au jour des comptes à rendre, c’est une des grandes et fortes joies du métier, et c’est la revanche la plus précieuse de nos humiliations…

De ce premier contact avec mes nouveaux maîtres je n’ai pu recueillir des indications précises et formelles… Mais j’ai senti que le ménage ne va pas, que Monsieur n’est rien dans la maison, que c’est Madame qui est tout, que Monsieur tremble devant Madame, comme un petit enfant… Ah ! il ne doit pas rire tous les jours, le pauvre homme !… Sûrement, il en voit, en entend, en subit de toutes les sortes… J’imagine que j’aurai, parfois, du bon temps à être là…

Au dessert, Madame, qui durant le repas n’avait cessé de renifler mes mains, mes bras, mon corsage, a dit d’une voix nette et tranchante :

— Je n’aime pas qu’on se mette des parfums…

Comme je ne répondais pas, faisant semblant d’ignorer que cette phrase s’adressât à moi.

— Vous entendez, Célestine ?

— Bien, Madame.

Alors, j’ai regardé, à la dérobée, le pauvre Mon-