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— Oui… je suis bien contente… réplique-t-elle. C’est-à-dire… je serais bien contente.. si j’étais certaine de ne pas être enceinte… À mon âge… ce serait trop triste !

Je la rassure de mon mieux… et elle accompagne chacune de mes paroles d’un hochement de tête… Puis elle ajoute :

— C’est égal… pour être plus tranquille… j’irai voir madame Gouin, demain…

J’éprouve une vraie pitié pour cette pauvre femme dont le cerveau est si noir, dont les idées sont si obscures… Ah ! qu’elle est mélancolique et lamentable !… Et que va-t-il lui arriver aussi, à celle-là ?… Chose extraordinaire, l’amour ne lui a pas donné un rayonnement… une grâce… Elle n’a pas ce halo de lumière que la volupté met autour des visages les plus laids… Elle est restée la même… lourde, molle et tassée… Et pourtant je suis presque heureuse que ce bonheur, qui a dû ranimer un peu sa grosse chair depuis si longtemps privée des caresses d’un homme, lui vienne de moi… Car, c’est après avoir excité ses désirs sur moi, que Monsieur est allé les assouvir, salement, sur cette triste créature… Je lui dis affectueusement :

— Il faut faire bien attention, Marianne… Si Madame vous surprenait, ce serait terrible…

— Oh il n’y a pas de danger !… s’écrie-t-elle… Monsieur ne vient que quand Madame est sortie… Il ne reste jamais bien longtemps… et lorsqu’il