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aperçue de rien ?… Comment !… Une telle chose, si comique, s’est passée, pour ainsi dire, sous mes yeux, et je n’en ai rien vu… rien soupçonné ?… J’interroge Marianne, je la presse de questions… Et Marianne raconte avec complaisance, en se rengorgeant un peu :

— Il y a deux mois, Monsieur est entré dans la laverie où j’étais en train de laver la vaisselle du déjeuner. Il n’y avait pas longtemps que vous étiez arrivée ici… Et tenez, justement, Monsieur venait de causer avec vous, sur l’escalier. Quand il est entré dans la laverie, Monsieur faisait de grands gestes… soufflait très fort… avait les yeux rouges et hors la tête. J’ai cru qu’il allait tomber d’un coup de sang… Sans rien me dire, il s’est jeté sur moi, et j’ai bien vu de quoi il s’agissait… Monsieur, vous comprenez… je n’ai pas osé me défendre… Et puis, on a si peu d’occasions ici !… Ça m’a étonnée… mais ça m’a fait plaisir… Alors il est revenu, souvent… C’est un homme bien mignon… bien caressant…

— Bien cochon, hein, Marianne ?

— Oh oui !… soupire-t-elle, les yeux pleins d’extase… Et bel homme !… Et tout !…

Sa grosse face molle continue de sourire bestialement… Et sous la camisole bleue débraillée, tachée de graisse et de charbon, ses deux seins se soulèvent, énormes, et roulent. Je lui demande encore :

— Êtes-vous contente au moins ?