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sifflet… La brume s’épaissit, gagne le jardin…

Et si Joseph n’allait plus jamais revenir ?…


Toute la journée, j’ai été distraite, nerveuse, extrêmement agitée. Jamais la maison ne m’a été plus pesante, jamais les longs corridors ne m’ont paru plus mornes, d’un silence plus glacé ; jamais je n’ai autant détesté le visage hargneux et la voix glapissante de Madame. Impossible de travailler… J’ai eu avec Madame une scène très violente, à la suite de laquelle j’ai bien cru que je serais obligée de partir… Et je me demande ce que je vais faire durant ces six jours, sans Joseph… Je redoute l’ennui d’être seule, aux repas, avec Marianne. J’aurais vraiment besoin d’avoir quelqu’un avec qui parler…

En général, dès que le soir arrive, Marianne, sous l’influence de la boisson, tombe dans un complet abrutissement… Son cerveau s’engourdit, sa langue s’empâte, ses lèvres pendent et luisent comme la margelle usée d’un vieux puits… et elle est triste, triste à pleurer… Je ne puis tirer d’elle que de petites plaintes, de petits cris, de petits vagissements d’enfant… Cependant, hier soir, moins ivre qu’à l’ordinaire, elle me confie, au milieu de gémissements qui n’en finissent pas, qu’elle a peur d’être enceinte… Marianne enceinte !… Ça, par exemple, c’est le comble… Mon premier mouvement est de rire… Mais j’éprouve, bientôt, une douleur