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XV

20 novembre.

Joseph, ainsi qu’il était convenu, est parti hier matin pour Cherbourg. Quand je suis descendue, il n’est déjà plus là. Marianne, mal réveillée, les yeux bouffis, la gorge graillonnante, tire de l’eau à la pompe. Il y a encore, sur la table de la cuisine, l’assiette où Joseph vient de manger sa soupe, et le pichet de cidre vide… Je suis inquiète et, en même temps, je suis contente, car je sens bien que c’est seulement d’aujourd’hui que se prépare, enfin, pour moi, une vie nouvelle. Le jour se lève à peine, l’air est froid. Au delà du jardin, la campagne dort encore sous d’épais rideaux de brume. Et j’entends, au loin, venant de la vallée invisible, le bruit très faible d’un sifflet de locomotive. C’est le train qui emporte Joseph et ma destinée… Je renonce à déjeuner… il me semble que j’ai quelque chose de trop gros, de trop lourd, qui m’emplit l’estomac… Je n’entends plus le