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— Mais, quand partirez-vous, pour tout à fait ?…

Joseph se gratte la nuque, glisse vers moi un regard sournois… et il dit :

— Ça… je n’en sais rien… Peut-être pas avant six mois d’ici… peut-être plus tôt… peut-être plus tard aussi… On ne peut pas savoir… Ça dépend…

Je sens qu’il ne veut pas parler… Néanmoins, j’insiste :

— Ça dépend de quoi ?…

Il hésite à me répondre, puis sur un ton mystérieux et, en même temps un peu excité :

— D’une affaire… fait-il… d’une affaire très importante…

— Mais quelle affaire ?…

— D’une affaire… voilà !

Cela est prononcé d’une voix brusque, d’une voix où il y a, non pas de la colère… mais de l’énervement. Il refuse de s’expliquer davantage…

Il ne me parle pas de moi… Cela m’étonne et me cause un désappointement pénible… Aurait-il changé d’idée ?… Mes curiosités, mes hésitations l’auraient-elles lassé ?… Il est bien naturel, cependant, que je m’intéresse à un événement, dont je dois partager le succès ou le désastre… Est-ce que les soupçons que je n’ai pu cacher, du viol, par lui, de la petite Claire, n’auraient point amené, à la réflexion, une rupture entre Joseph et moi ?… Au serrement de cœur que j’éprouve