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tout était à elle, chez moi… Ainsi, vous ne le croiriez pas ?… Mon fauteuil Voltaire… je ne l’avais plus… plus jamais. C’est elle qui le prenait tout le temps… Elle prenait tout, du reste… c’est bien simple… Quand je pense que je ne pouvais plus manger d’asperges à l’huile… parce qu’elle ne les aimait pas !… Ah ! elle a bien fait de mourir… C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux… car, d’une manière comme de l’autre… je ne l’aurais pas gardée… non, non, foutre !… je ne l’aurais pas gardée. Elle m’excédait, là !… J’en avais plein le dos… Et je vais vous dire… si j’étais mort avant elle, Rose eût été joliment attrapée, allez !… Je lui en réservais une qu’elle eût trouvée amère… Je vous en réponds !…

Sa lèvre se plisse dans un sourire qui finit en atroce grimace… Il continue, en coupant chacun de ses mots de petits pouffements humides :

— Vous savez que j’avais rédigé un testament où je lui donnais tout… maison… argent… rentes… tout ? Elle a dû vous le dire… elle le disait à tout le monde… Oui, mais ce qu’elle ne vous a pas dit, parce qu’elle l’ignorait, c’est que, deux mois après, j’avais fait un second testament qui annulait le premier… et où je ne lui donnais plus rien… foutre !… pas çà…

N’y tenant plus, il éclate de rire… d’un rire strident qui s’éparpille dans le jardin, comme un vol de moineaux piaillants… Et il s’écrie :

— Ça, c’est une idée hein ?… Oh ! sa tête — la