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Rose… Ma foi, oui !… Depuis que nous avions pris un petit garçon pour aider… elle ne fichait plus rien dans la maison… et tout y allait très mal… très mal… Je ne pouvais même plus manger un œuf à la coque cuit à mon goût… Et les scènes du matin au soir, à propos de rien !… Dès que je dépensais dix sous, c’étaient des cris… des reproches… Et lorsque je causais avec vous, comme aujourd’hui… eh bien, c’en étaient des histoires… car elle était jalouse, jalouse… Ah ! non… Elle vous traitait, fallait entendre ça !… Ah ! non, non… Enfin, je n’étais plus chez moi, foutre !

Il respire largement, bruyamment, et, comme un voyageur revenu d’un long voyage, il contemple avec une joie profonde et nouvelle le ciel, les pelouses nues du jardin, les entrelacs violacés que font les branches d’arbres sur la lumière, sa petite maison.

Cette joie, désobligeante pour la mémoire de Rose, me paraît maintenant très comique. J’excite le capitaine aux confidences… Et je lui dis, sur un ton de reproche :

— Capitaine… je crois que vous n’êtes pas juste pour Rose.

— Tiens… parbleu !… riposte-t-il vivement… Vous ne savez pas, vous… vous ne savez rien… Elle n’allait pas vous raconter toutes les scènes qu’elle me faisait… sa tyrannie… sa jalousie… son égoïsme. Rien ne m’appartenait plus ici…