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— Un grand malheur, monsieur le capitaine… un grand malheur pour vous… Pauvre Rose !

— Oui… oui… fait-il mollement.

Sa physionomie est sans expression. Ses gestes sont vagues… Il ajoute, en piquant sa fourche dans une partie molle de la terre, près de la haie :

— D’autant que je ne puis pas rester, sans personne…

J’insiste sur les vertus domestiques de Rose :

— Vous ne la remplacerez pas facilement, capitaine.

Décidément, il n’est pas ému du tout. On dirait même à ses yeux subitement devenus plus vifs, à ses mouvements plus alertes, qu’il est débarrassé d’un grand poids.

— Bah ! dit-il, après un petit silence… tout se remplace…

Cette philosophie résignée m’étonne et même me scandalise un peu. J’essaie, pour m’amuser, de lui faire comprendre tout ce qu’il a perdu en perdant Rose…

— Elle connaissait si bien vos habitudes, vos goûts… vos manies !… Elle vous était si dévouée !

— Eh bien ! il n’aurait plus manqué que ça… grince-t-il.

Et faisant un geste, par quoi il semble écarter toute sorte d’objections :

— D’ailleurs, m’était-elle si dévouée ?… Tenez, j’aime mieux vous le dire ; j’en avais assez de