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prices et même par les bontés de ces êtres sans justice, sans amour, que sont les riches… Avez-vous réfléchi, un instant, à ce que nous pouvons ressentir de haines mortelles et légitimes, de désirs de meurtre, oui, de meurtre, lorsque pour exprimer quelque chose de bas, d’ignoble, nous entendons nos maîtres s’écrier devant nous, avec un dégoût qui nous rejette si violemment hors l’humanité : « Il a une âme de domestique… C’est un sentiment de domestique… » ? Alors que voulez-vous que nous devenions dans ces enfers ?… Est-ce qu’elles s’imaginent vraiment que je n’aimerais pas porter de belles robes, rouler dans de belles voitures, faire la fête avec des amoureux, avoir, moi aussi, des domestiques ?… Elles nous parlent de dévouement, de probité, de fidélité… Non, mais vous vous en feriez mourir, mes petites vaches !…


Une fois — c’était rue Cambon… en ai-je fait, mon Dieu ! de ces places — les maîtres mariaient leur fille. Il y eut une grande soirée, où l’on exposa les cadeaux, des cadeaux à remplir une voiture de déménagement. Je demandai à Baptiste, le valet de chambre, en manière de rigolade…

— Eh bien, Baptiste… et vous ?… Votre cadeau ?

— Mon cadeau ? fit Baptiste en haussant les épaules.