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place, elles me manquent… J’étais lasse aussi, lasse à l’excès, écœurée de ne manger depuis huit jours que des confitures faites avec des groseilles tournées, dont les bonnes sœurs avaient acheté un lot au marché de Levallois. Tout ce que les saintes femmes pouvaient arracher au tombereau d’ordures, c’était bon pour nous…

Ce qui acheva de m’irriter ce fut l’évidente, la persistante effronterie avec laquelle nous étions exploitées. Leur truc était simple et c’est à peine si elles le dissimulaient. Elles ne plaçaient que les filles incapables de leur être utiles. Celles dont elles pouvaient tirer un profit quelconque, elles les gardaient prisonnières, abusant de leurs talents, de leur force, de leur naïveté. Comble de la charité chrétienne, elles avaient trouvé le moyen d’avoir des domestiques, des ouvrières qui les payassent et qu’elles dépouillaient, sans un remords, avec un inconcevable cynisme, de leurs modestes ressources, de leurs toutes petites économies, après avoir gagné sur leur travail… Et les frais couraient toujours.

Je me plaignis d’abord faiblement, ensuite plus rudement qu’elles ne m’eussent pas appelée, une seule fois, au parloir. Mais à toutes mes plaintes elles répondaient, les saintes-nitouches :

— Un peu de patience, ma chère enfant… Nous pensons à vous, ma chère enfant… pour une place excellente… nous cherchons, pour vous, une place exceptionnelle… Nous savons ce