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seule, ou bien avec des gens de même condition que soi… C’est moins grave… ça irrite moins le bon Dieu… Et peut-être que ces personnes ont des dispenses… Beaucoup ont des dispenses…

Comme je lui nommais M. Xavier et son père :

— Pas de noms… s’écriait-il… je ne vous demande pas de noms… ne me dites jamais de noms… Je ne suis point de la police… D’ailleurs, ce sont des personnes riches et respectables que vous me nommez-là… des personnes extrêmement religieuses… Par conséquent, c’est vous qui avez tort… vous qui vous insurgez contre la morale et contre la société….

Ces conversations ridicules et surtout ces culottes dont je ne parvenais pas à effacer, dans mon esprit, l’importune et trop humaine image, refroidirent considérablement mon zèle religieux, mes ardeurs de repentie. Le travail aussi m’agaça. Il me donnait la nostalgie de mon métier. J’avais des désirs impatients de m’évader de cette prison, de retourner aux intimités des cabinets de toilette. Je soupirais après les armoires, pleines de lingeries odorantes, les garde-robes où bouffent les taffetas, où craquent les satins et les velours si doux à manier… et les bains où, sur les chairs blondes, moussent les savons onctueux. Et les histoires de l’office, et les aventures imprévues, le soir dans l’escalier et dans les chambres !… C’est curieux, vraiment… Quand je suis en place, ces choses-là me dégoûtent ; quand je suis sans