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— Non… non… soupirai-je… Vous savez bien que ce n’est pas pour ça…

— Eh bien… fiche-moi la paix !…

Il eut vite fini d’être habillé… et il partit sans m’embrasser, sans me dire un mot…

Le lendemain, il ne fut pas question de me rendre l’argent, et je ne voulus pas le réclamer. Ça me faisait plaisir qu’il eût quelque chose de moi… Et je comprends qu’il y ait des femmes qui se tuent de travail, des femmes qui se vendent aux passants, la nuit, sur les trottoirs, des femmes qui volent, des femmes qui tuent… afin de rapporter un peu d’argent et de procurer des gâteries au petit homme qu’elles aiment. Voilà qui m’est passé par exemple… Est-ce que, vraiment, cela m’est passé autant que je l’affirme ? Hélas, je n’en sais rien… Il y a des moments où devant un homme, je me sens si molle… si molle… sans volonté, sans courage, et si vache… ah ! oui… si vache !…


Madame ne tarda pas à changer d’allures vis-à-vis de moi. De gentille qu’elle avait été jusqu’ici, elle devint dure, exigeante, tracassière… Je n’étais qu’une sotte… je ne faisais jamais rien de bien… j’étais maladroite, malpropre, mal élevée, oublieuse, voleuse… Et sa voix si douce, au début, si camarade, prenait maintenant un mordant de vinaigre. Elle me donnait des ordres sur un ton cassant… rabaissant… Finies les séances de chif-