Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/319

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le valet de chambre n’avait pas menti. Une drôle de boîte, en vérité.

Monsieur était dans les pèlerinages… je ne sais pas quoi, au juste… quelque chose comme président ou directeur… Il racolait des pèlerins où il pouvait, parmi les juifs, les protestants, les vagabonds, même parmi les catholiques, et, une fois l’an, il conduisait ces gens-là à Rome, à Lourdes, à Paray-le-Monial, non sans tapage et sans profit, bien entendu. Le pape n’y voyait que du feu, et la religion triomphait. Monsieur s’occupait aussi d’œuvres charitables et politiques : Ligue contre l’enseignement laïque… Ligue contre les publications obscènes… Société des bibliothèques amusantes et chrétiennes… Association des biberons congréganistes pour l’allaitement des enfants d’ouvriers… Est-ce que je sais ?… Il présidait des orphelinats, des alumnats, des ouvroirs, des cercles, des bureaux de placement… Il présidait de tout… Ah ! il en avait des métiers. C’était un petit bonhomme rondelet, très vif, très soigné, très rasé, dont les manières, à la fois doucereuses et cyniques, étaient celles d’un prêtre malin et rigolo. On parlait de lui et de ses œuvres, dans les journaux, quelquefois… Naturellement, les uns exaltaient ses vertus humanitaires et sa haute sainteté d’apôtre, les autres le traitaient de vieille fripouille et de sale canaille. À l’office, nous nous amusions beaucoup de ces querelles, quoique ce soit assez chic et flatteur de servir chez