Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

poire dans le monde… Mais oui ! C’est coquet, s’il vous plaît… ça flirte dans les coins, ça étale des chairs peintes, ça joue de la prunelle, ça se trémousse du derrière ; et ça n’est bon qu’à mettre dans des bocaux d’esprit de vin… Ah ! malheur !… On n’a guères d’agrément avec elles, je vous assure, et ça n’est pas toujours ragoûtant de les servir…

Soit tempérament, soit indisposition organique, je serais bien étonnée que Madame fût portée sur la chose… Aux expressions de son visage, aux gestes durs, aux flexions raides de son corps, on ne sent pas du tout l’amour, et, jamais, le désir, avec ses charmes, ses souplesses et ses abandons, n’a passé par là… Des vieilles filles vierges, elle garde, en toute sa personne, je ne sais quoi d’aigre et de suri, je ne sais quoi de desséché, de momifié, ce qui est rare chez les blondes… Ce n’est pas Madame qu’une belle musique comme Faust — ah ! ce Faust ! — ferait tomber de langueur et s’évanouir de volupté entre les bras d’un beau mâle… Ah, non, par exemple ! Elle n’appartient pas à ce genre de femmes très laides, sur les figures de qui l’ardeur du sexe met parfois tant de vie radieuse, tant de séductions et tant de beauté… Après tout, il ne faut pas se fier à des airs comme celui de Madame… J’en ai connu de plus sévères et de plus grincheuses, qui éloignaient toute idée de désir et d’amour, et qui étaient de fameuses gourgandines, et qui faisaient