Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pauvre demoiselle Robineau ! On lui apprit ce que représentait ce bout de pierre. Elle faillit en mourir de honte… Et elle ne cessait de répéter :

— Et moi qui l’ai embrassée tant de fois !…


Aujourd’hui, 10 novembre, nous avons passé toute la journée à nettoyer l’argenterie. C’est tout un événement… une époque traditionnelle comme celle des confitures. Les Lanlaire possèdent une magnifique argenterie, des pièces anciennes, rares et de toute beauté. Elle vient du père de Madame qui la prit, les uns disent en dépôt, les autres en garantie d’une somme prêtée à un noble du voisinage. Il n’achetait pas que des jeunes gens pour la conscription, cet olibrius-là !… Tout lui était bon et il n’était pas à une escroquerie près. S’il faut en croire l’épicière, l’histoire de cette argenterie serait des plus louches, ou des plus claires, comme on voudra. Le père de Madame serait rentré dans ses fonds et, grâce à une circonstance que j’ignore, il aurait gardé l’argenterie par-dessus le marché… Un tour de filou épatant !…

Naturellement, les Lanlaire ne s’en servent jamais. Elle reste enfermée, au fond d’un placard de l’office, dans trois grandes caisses doublées de velours rouge et scellées au mur par de solides crampons de fer. Chaque année, le 10 novembre, on la sort des caisses et on la nettoie, sous la surveillance de Madame. Et on ne la revoit plus jusqu’à l’année suivante… Oh ! les yeux de Madame