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Elle eut d’abord la pensée de l’offrir à M. le Doyen… Puis elle réfléchit que cette relique serait une protection pour sa maison, qu’elle en éloignerait le malheur et le péché. Elle l’emporta.

Arrivée chez elle, Mlle Robineau s’enferma dans sa chambre. Sur une table, parée d’une nappe blanche, elle disposa un coussin de velours rouge avec des glands d’or ; sur le coussin, délicatement, elle coucha la précieuse relique. Ensuite elle couvrit le tout d’un globe de verre aussitôt flanqué de deux vases pleins de fleurs artificielles. Et s’agenouillant devant cet autel improvisé, elle invoqua, avec ardeur, le saint inconnu et admirable à qui avait appartenu, en des temps probablement très anciens, cet objet profane et purifié… Mais, bientôt, elle ne tarda pas à se sentir troublée… Des préoccupations d’une précision trop humaine se mêlèrent à la ferveur de ses prières, à la joie pure de ses extases… Même des doutes terribles et lancinants s’insinuèrent en son âme.

— Est-ce bien, là, une sainte relique ?… se dit-elle.

Et tandis qu’elle multipliait sur ses lèvres les Pater et les Ave, elle ne pouvait s’empêcher de penser à d’obscures impuretés et d’écouter une voix plus forte que ses prières, une voix qui venait d’elle, inconnue d’elle, et qui disait :

— Tout de même, ça devait être un bien bel homme !…