Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.

terrestre ?… Que celui qui le sait lève la main !… Allons…

Aucune main ne se levait… Il y avait, dans tous les yeux, d’ardents points d’interrogation, et M. le Doyen, haussant les épaules, s’écriait :

— C’est scandaleux… Que vous enseigne-t-il donc, votre instituteur ?… Ah ! elle est jolie, l’éducation laïque, gratuite et obligatoire… elle est jolie !… Eh bien, je vais vous le dire, moi, où se trouvait le Paradis terrestre… Attention !

Et, catégorique non moins que grimaçant, il débitait :

— Le Paradis terrestre, mes enfants, ne se trouvait pas à Port-Lançon, quoi qu’on dise, ni dans le département de la Seine-Inférieure… ni en Normandie… ni à Paris… ni en France… Il ne se trouvait pas non plus en Europe, pas même en Afrique ou en Amérique… en Océanie pas davantage… Est-ce clair ?… Il y a des gens qui prétendent que le Paradis terrestre était en Italie, d’autres en Espagne, parce que dans ces pays-là il pousse des oranges, petits gourmands !… C’est faux, archi-faux. D’abord, dans le Paradis terrestre, il n’y avait pas d’oranges… il n’y avait que des pommes… pour notre malheur… Voyons, que l’un de vous réponde… Répondez…

Et comme aucun ne répondait :

— Il était en Asie… clamait M. le Doyen d’une voix retentissante et colère… en Asie où, jadis, il ne tombait ni pluie, ni grêle, ni neige…