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C’est une histoire vraie, très drôle et pas mal raide qui s’est passée tout dernièrement à Port-Lançon, un joli endroit, situé à trois lieues d’ici. Le piquant, c’est que tout le monde en connaît les personnages. Voilà encore de quoi occuper les gens, pendant quelques jours… On a apporté le journal à Marianne, hier, et le soir, après le dîner, j’ai fait la lecture du fameux article à haute voix… Dès les premières phrases, Joseph s’est levé très digne, sévère, et même un peu fâché. Il déclare qu’il n’aime pas les cochonneries, et qu’il ne peut supporter qu’on attaque la religion, devant lui…

— C’est pas bien, ce que vous faites là, Célestine… c’est pas bien…

Et il est parti se coucher…

Je transcris ici, cette histoire. Elle m’a paru propre à être conservée… et puis j’ai pensé que je pouvais bien égayer d’un franc éclat de rire ces pages si tristes…

La voici.


M. le doyen de la paroisse de Port-Lançon était un prêtre sanguin, actif, sectaire, et son éloquence avait grande réputation dans les pays avoisinants. Mécréants et libres-penseurs se rendaient à l’église, le dimanche, rien que pour l’entendre prêcher… Ils s’excusaient de cette pratique en invoquant des raisons oratoires :

— On n’est pas de son avis, bien sûr, mais