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en font du chichi, pour peu de chose. Et quand je pense que c’est uniquement pour vous humilier, pour vous épater !…

La maison n’est pas si bien que ça… Il n’y a pas de quoi, vraiment, être si fière d’une maison… De l’extérieur, mon Dieu !… avec les grands massifs d’arbres qui l’encadrent somptueusement et les jardins qui descendent jusqu’à la rivière en pentes molles, ornés de vastes pelouses rectangulaires, elle a l’air de quelque chose… Mais à l’intérieur… c’est triste, vieux, branlant, et cela sent le renfermé… Je ne comprends pas qu’on puisse vivre là-dedans… Rien que des nids à rats, des escaliers de bois à vous rompre le col et dont les marches gauchies tremblent et craquent sous les pieds… des couloirs bas et sombres où, en guise de tapis moelleux, ce sont des carreaux mal joints, passés au rouge et vernis, vernis, glissants, glissants… Les cloisons trop minces, faites de planches trop sèches, rendent les chambres sonores, comme des intérieurs de violon… C’est toc et province, quoi !… Elle n’est pas meublée, pour sûr, comme à Paris… Dans toutes les pièces, du vieil acajou, de vieilles étoffes mangées aux vers, de vieilles carpettes usées, décolorées, et des fauteuils et des canapés, ridiculement raides, sans ressorts, vermoulus et boiteux… Ce qu’ils doivent vous moudre les épaules, et vous écorcher les fesses !… Vraiment, moi qui aime tant les tentures claires, les vastes