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cher, et j’ai pris les chiens avec moi… Pendant que je suis là, une vieille entre timidement dans la boutique et demande de la viande, « un peu de viande, pour faire un peu de bouillon, au fils qui est malade ». Le boucher choisit, parmi des débris entassés dans une large bassine de cuivre, un sale morceau, moitié os, moitié graisse, et l’ayant pesé vivement :

— Quinze sous… annonce-t-il.

— Quinze sous ! s’exclame la vieille. Ça n’est pas Dieu possible !… Et comment voulez-vous que je fasse du bouillon avec ça ?…

— À votre aise… dit le boucher, en rejetant le morceau dans la bassine… Seulement, vous savez, je vais vous envoyer votre note aujourd’hui… Si demain, elle n’est pas payée… l’huissier !…

— Donnez… se résigne alors la vieille.

Quand elle est partie :

— C’est vrai, aussi… m’explique le boucher… Si on n’avait pas les pauvres pour les bas morceaux… on ne gagnerait vraiment pas assez sur une bête… Mais ils sont exigeants maintenant, ces bougres-là !…

Et, taillant deux longues tranches de bonne viande bien rouge, il les lance aux chiens :

Les chiens de riches, parbleu !… c’est pas des pauvres…


Au Prieuré, les événements se succèdent. Du