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Monsieur continua de rôder à travers l’hôtel dans un état d’agitation extrême… Tout d’un coup, m’ayant aperçue dans la salle à manger où je remettais un peu d’ordre, il vint à moi… et me prenant par la taille :

— Célestine, me dit-il… veux-tu être bien gentille avec moi ?… Veux-tu me faire un grand, grand plaisir ?

— Oui, Monsieur…

— Eh bien, mon enfant, crie-moi, en pleine figure, dix fois, vingt fois, cent fois : « Merde ! »

— Ah ! Monsieur !… quelle drôle d’idée !… Je n’oserai jamais…

— Ose, Célestine… ose, je t’en supplie !…

Et quand j’eus fait, au milieu de nos rires, ce qu’il me demandait :

— Ah ! Célestine, tu ne sais pas le bien, tu ne sais pas la joie immense que tu me procures… Et puis, voir une femme qui ne soit pas une âme… toucher une femme qui ne soit pas un lys !… Embrasse-moi…

Si je m’attendais à celle-là, par exemple !…

Mais, le lendemain, lorsqu’ils lurent dans le Figaro un article où l’on célébrait pompeusement leur dîner, leur élégance, leur goût, leur esprit, leurs relations, ils oublièrent tout, et ne parlèrent plus que de leur grand succès. Et leur âme appareilla vers de plus illustres conquêtes et de plus somptueux snobismes.

— Quelle femme charmante que la comtesse