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des rythmes nouveaux d’une ondulation inhabituelle, car il est certain que l’âme des hommes communique à l’âme des choses ses troubles, ses passions, ses ferveurs, ses péchés, sa vie…

— Comme c’est vrai !…

Ce cri sorti de plusieurs bouches n’empêcha point Kimberly de poursuivre un récit qui, désormais, allait se dérouler dans l’émotion silencieuse des auditeurs. Sa voix devint, seulement, plus mystérieuse.

— Cette minute de silence fut poignante et tragique : « Ô mon ami, supplia John-Giotto Farfadetti, toi qui m’as tout donné… toi de qui l’âme est si merveilleusement jumelle de la mienne, il faut que tu me donnes quelque chose de toi que je n’ai pas eu encore et dont je meurs de ne l’avoir point… » — « Est-ce donc ma vie que tu demandes ? interrogea le peintre… Elle est à toi… tu peux la prendre… » — « Non, ce n’est pas ta vie… c’est plus que ta vie… ta femme ! » — « Botticellina !… cria le poète. » — « Oui, Botticellina… Botticellinetta… la chair de ta chair… l’âme de ton âme… le rêve de ton rêve… le sommeil magique de tes douleurs !… » — « Botticellina !… Hélas !… hélas !… Cela devait arriver… Tu t’es noyé en elle… elle s’est noyée en toi, comme dans un lac sans fond, sous la lune… Hélas ! hélas !… Cela devait arriver… » Deux larmes, phosphorescentes dans la pénombre, coulèrent des yeux du peintre… Le poète répondit :