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cisses très longues tiges mouraient, comme des âmes, dans un vase étroit dont le col s’ouvrait en calice de lys étrangement verts et pervers…

— Inoubliable !… frissonna la comtesse d’une voix si basse qu’on l’entendit à peine.

Et Kimberly, sans s’arrêter, narrait toujours :

— Au dehors, la rue se faisait plus silencieuse, parce que déserte. De la Tamise venaient, assourdies par la distance, les voies éperdues des sirènes, les voix haletantes des chaudières marines. C’était l’heure où les deux amis, en proie au songe, se taisaient ineffablement…

— Oh ! je les vois si bien !… admira Mme Tiercelet…

— Et cet « ineffablement », comme il est évocateur… applaudit la comtesse Fergus… et tellement pur !

Kimberly profita de ces interruptions flatteuses pour avaler une gorgée de champagne… puis, sentant autour de lui plus d’attention passionnée, il répéta :

— Se taisaient ineffablement… Mais ce soir-là John-Giotto Farfadetti murmura : « J’ai dans le cœur une fleur empoisonnée… » À quoi Frédéric-Ossian Pinggleton répondit : « Ce soir, un oiseau triste a chanté dans mon cœur »… L’atelier parut s’émouvoir de cet insolite colloque. Sur le mur mauve qui, de plus en plus, se décolorait, les algues d’or s’éployèrent, on eût dit, se rétrécirent, s’éployèrent, se rétrécirent encore, selon