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soirée… Ceux chez qui l’on ne peut dîner et où l’on peut aller en soirée. Ceux que l’on peut recevoir à sa table et ceux à qui l’on ne permet — et encore dans de certaines circonstances, parfaitement déterminées — que l’entrée de son salon… Il y avait aussi ceux chez qui l’on ne peut dîner et qu’on ne doit pas recevoir chez soi, et ceux que l’on peut recevoir chez soi et chez qui l’on ne peut dîner… ceux que l’on peut recevoir à déjeuner et jamais à dîner ; et ceux chez qui l’on peut dîner à la campagne, et jamais à Paris, etc. Tout cela appuyé d’exemples démonstratifs et péremptoires, illustré de noms connus…

— La nuance… disait le vicomte Lahyrais, sportsman, clubman, joueur et tricheur… Tout est là… C’est par la stricte observance de la nuance qu’un homme est vraiment du monde ou qu’il n’en est pas…

Jamais, je crois, je n’ai entendu des choses si tristes. En les écoutant, j’avais véritablement pitié de ces malheureux.

Charrigaud ne mangeait point, ne buvait point, ne disait rien. Bien qu’il ne fût guère à la conversation, il en sentait, tout de même, comme un poids sur son crâne, la sottise énorme et sinistre. Impatient, fiévreux, très pâle, il surveillait le service, cherchait à surprendre, sur le visage de ses invités, des impressions favorables ou ironiques, et, machinalement, avec des mouvements de plus en plus accélérés, il roulait,