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remit sans raison des bibelots et des meubles, alla d’une pièce dans l’autre, sans savoir pourquoi et comme si elle eût été folle. Elle tremblait que les cuisiniers ne vinssent pas, que le fleuriste manquât de parole et que les invités ne fussent point placés à table selon la stricte étiquette. Monsieur la suivait partout, vêtu seulement d’un caleçon de soie rose, approuvant ci, critiquant là.

— J’y repense… disait-il… Quelle drôle d’idée tu as eue de commander des centaurées pour la décoration de la table… Je t’assure que le bleu en devient noir à la lumière. Et puis, les centaurées, après tout, ça n’est que de simples bleuets… Nous aurons l’air d’aller cueillir des bleuets dans les blés…

— Oh ! des bleuets !… Que tu es agaçant !

— Mais oui, des bleuets… Et les bleuets… Kimberly l’a fort bien dit l’autre soir, chez les Rothschild… ça n’est pas une fleur du monde… Pourquoi pas aussi des coquelicots ?…

— Laisse-moi tranquille… répondait Madame… Tu me fais perdre la tête, avec toutes tes observations stupides. C’est bien le moment, vrai !

Et Monsieur s’obstinait :

— Bon… bon… tu verras… tu verras… Pourvu, mon Dieu ! que tout se passe à peu près bien, sans trop d’accidents… sans trop d’accrocs… Je ne savais pas que d’être des gens du monde, cela fût une chose si difficile, si fatigante et si com-