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Tout d’abord, je n’ai pas confiance. Certes, Madame est assez gentille avec moi. Elle a bien voulu m’adresser quelques compliments sur ma tenue, et se féliciter des renseignements qu’elle a reçus… Oh ! sa tête, si elle savait qu’ils sont faux, du moins que ce sont des renseignements de complaisance… Ce qui l’épate surtout, c’est mon élégance. Et puis, le premier jour, il est rare qu’elles ne soient pas gentilles, ces chameaux-là… Tout nouveau, tout beau… C’est un air connu… Oui, et le lendemain, l’air change, connu, aussi… D’autant que Madame a des yeux très froids, très durs, et qui ne me reviennent pas… des yeux d’avare, pleins de soupçons aigus et d’enquêtes policières… Je n’aime pas non plus ses lèvres trop minces, sèches, et comme recouvertes d’une pellicule blanchâtre… ni sa parole brève, tranchante qui, d’un mot aimable, fait presque une insulte ou une humiliation. Lorsque, en m’interrogeant sur ceci, sur cela, sur mes aptitudes et sur mon passé, elle m’a regardé avec cette impudence tranquille et sournoise de vieux douanier qu’elles ont toutes, je me suis dit :

— Il n’y a pas d’erreur… Encore une qui doit mettre tout sous clé, compter chaque soir les morceaux de sucre et les grains de raisin, et faire des marques aux bouteilles… Allons ! allons ! C’est toujours la même chose pour changer…

Cependant, il faudra voir et ne pas m’en tenir