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On le vit avec des redingotes d’un philippisme audacieux, des cols et des cravates d’un 1830 exagéré, des gilets de velours d’un galbe irrésistible, des bijoux affichants, et il sortit d’étuis en métal, incrustés de pierres trop précieuses, des cigarettes somptueusement roulées dans des papiers d’or… Mais, lourd de membres, gauche de gestes, avec des emmanchements épais et des articulations canailles, il conservait, malgré tout, l’allure massive des paysans d’Auvergne, ses compatriotes. Trop neuf dans une trop soudaine élégance où il se sentait dépaysé, il avait beau s’étudier et étudier les plus parfaits modèles du chic parisien, il ne parvenait pas à acquérir cette aisance, cette ligne souple, fine et droite qu’il enviait — avec quelle violente haine — aux jeunes élégants des clubs, des courses, des théâtres et des restaurants. Il s’étonna, car, après tout, il n’avait que des fournisseurs de choix, les plus illustres tailleurs, de mémorables chemisiers, et quels bottiers… quels bottiers !… En s’examinant dans la glace, il s’injuriait avec désespoir.

— J’ai beau sur mes habits multiplier velours, moires et satins, j’ai toujours l’air d’un mufle. Il y a là quelque chose qui n’est pas naturel.

Quant à Mme Charrigaud, jusque-là simple et mise avec un goût discret, elle arbora, elle aussi, des toilettes éclatantes, fracassantes, des cheveux trop rouges, des bijoux trop gros, des soies trop