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dans le pittoresque, une large et rude philosophie et des mots aigus, profonds, terribles qui recueillis par les uns, colportés par les autres, se répétaient aux quatre coins de Paris et devenaient, en quelque sorte, classiques tout de suite… On pourrait faire toute une étonnante psychologie du snobisme avec les impressions, les traits, les profils serrés, les silhouettes étrangement dessinées et vivantes que son originalité renouvelait et prodiguait, sans jamais se lasser… Il semble donc que si quelqu’un devait échapper à cette sorte d’influenza morale qui sévit si fort dans les salons, ce fût Victor Charrigaud, mieux que tout autre préservé de la contagion par cet admirable antiseptique : l’ironie… Mais l’homme n’est que surprise, contradiction, incohérence et folie…

À peine eut-il senti passer les premières caresses du succès, que le snob qui était en lui — et c’est pour cela qu’il le peignait avec une telle force d’expression — se révéla, explosa, pourrait-on dire, comme un engin qui vient de recevoir la secousse électrique… Il commença par lâcher ses amis devenus encombrants ou compromettants, ne gardant que ceux qui, les uns par leur talent accepté, les autres, par leur situation dans la presse, pouvaient lui être utiles et entretenir de leurs persistantes réclames sa jeune renommée. En même temps, il fit de la toilette et de la mode une de ses préoccupations les plus acharnées.