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leur barbe et la chaleur de leur haleine… va te promener !… je ne suis plus qu’une chiffe… et c’est eux, au contraire, qui ont de moi tout ce qu’ils veulent…

Donc, me voilà au Prieuré, en attendant quoi ?… Ma foi, je n’en sais rien. Le plus sage serait de n’y point songer et de laisser aller les choses au petit bonheur… C’est peut-être ainsi qu’elles vont le mieux… Pourvu que, demain, sur un mot de Madame, et poursuivie jusqu’ici par cette impitoyable malchance qui ne me quitte jamais, je ne sois pas forcée, une fois de plus, de lâcher la baraque !… Cela m’ennuierait… Depuis quelque temps, j’ai des douleurs aux reins et au ventre, une lassitude dans tout le corps… mon estomac se délabre, ma mémoire s’affaiblit… je deviens, de plus en plus, irritable et nerveuse. Tout à l’heure, me regardant dans la glace, je me suis trouvé le visage vraiment fatigué, et le teint — ce teint ambré dont j’étais si fière — presque couleur de cendre… Est-ce que je vieillirais déjà ?… Je ne veux pas vieillir encore. À Paris, il est difficile de se soigner. On n’a le temps de rien. La vie y est trop fiévreuse, trop tumultueuse… on y est, sans cesse, en contact avec trop de gens, trop de choses, trop de plaisirs, trop d’imprévu… Il faut aller quand même… Ici, c’est calme… Et quel silence !… L’air qu’on respire doit être sain et bon… Ah ! si, au risque de m’embêter, je pouvais me reposer un peu…