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ne m’est plus hostile ou méprisant, et il y a presque de la tendresse dans ses bourrades. Ses regards n’ont plus de haine — en ont-ils jamais eu d’ailleurs ? — et s’ils sont encore si terribles, parfois, c’est qu’il cherche à me connaître mieux, toujours mieux, et qu’il veut m’éprouver. Comme la plupart des paysans, il est extrêmement méfiant, il évite de se livrer aux autres, car il croit qu’on veut le « mettre dedans ». Il doit posséder de nombreux secrets, mais il les cache jalousement, sous un masque sévère, renfrogné et brutal, comme on renferme des trésors dans un coffre de fer, armé de barres solides et de mystérieux verroux. Pourtant, vis-à-vis de moi, sa méfiance s’atténue… Il est charmant pour moi, dans son genre… Il fait tout ce qu’il peut pour me marquer son amitié et me plaire. Il se charge des corvées trop pénibles, prend à son compte les gros ouvrages qui me sont attribués, et cela, sans mièvrerie, sans arrière-pensée galante, sans chercher à provoquer ma reconnaissance, sans vouloir en tirer un profit quelconque. De mon côté, je remets de l’ordre dans ses affaires, je raccommode ses chaussettes, ses pantalons, rapièce ses chemises, range son armoire, avec bien plus de soin et de coquetterie que celle de Madame. Et il me dit avec des yeux de contentement :

— C’est bien, ça, Célestine… Vous êtes une bonne femme… une femme d’ordre. L’ordre,