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cueillir dans ses mains leur souffrance, leurs frissons d’agonie, leur mort… Une fois, j’ai assisté à la mort d’un canard tué par Joseph… Il le tenait entre ses genoux. D’une main il lui serrait le col, de l’autre il lui enfonçait une épingle dans le crâne, puis tournait, tournait l’épingle dans le crâne, d’un mouvement lent et régulier… Il semblait moudre du café… Et en tournant l’épingle, Joseph disait avec une joie sauvage :

— Faut qu’il souffre… tant plus qu’il souffre, tant plus que le sang est bon au goût…

L’animal avait dégagé des genoux de Joseph ses ailes qui battaient, battaient… Son col se tordait, même maintenu par Joseph, en affreuse spirale… et, sous le matelas des plumes, sa chair soubresautait… Alors Joseph jeta l’animal sur les dalles de la cuisine et, les coudes aux genoux, le menton dans ses paumes réunies, il se mit à suivre, d’un œil hideusement satisfait, ses bonds, ses convulsions, le grattement fou de ses pattes jaunes sur le sol…

— Finissez donc, Joseph, criai-je. Tuez-le donc tout de suite… c’est horrible de faire souffrir les bêtes.

Et Joseph répondit :

— Ça m’amuse… J’aime ça…

Je me rappelle ce souvenir, j’évoque tous les détails sinistres de ce souvenir, j’entends toutes les paroles de ce souvenir… Et j’ai envie… une envie encore plus violente, de crier à Joseph :